L’Obs – Les wagashi, nouveau péché mignon français


L’Obs, 02 mai 2019 — n°2843
Après le succès de nos pâtisseries au Japon, c’est au tour des gâteaux japonais de garnir nos vitrines
Par CHRISTEL BRION

Dorayaki, mochi, yokan, monaka…
Ces gâteaux vont-ils remplacer nos éclairs, religieuses etautres babas au rhum ?
Sûrement pas, mais les Français, qui ont découvert la gastronomie japonaise à travers des produits comme le yuzu ou le matcha, pourraient bien succomber aux douceurs à base de pâte de haricot rouge.

L’azuki est en effet l’ingrédient principal des wagashi traditionnels, ces pâtisseries japonaises qui commencent à séduire les gourmands devant les vitrines françaises.
Il faut dire que ces délicates miniatures aux couleurs pastel attirent l’oeil par un certain côté kawaii – mignonnerie à la japonaise.
Pour les apprécier, il faudra cependant habituer son palais aux saveurs subtiles de l’azuki, qui paraît (au début) fade au goût occidental, et respecter certaines conditions de dégustation.

Les Japonais, dont les repas mêlent fréquemment sucré et salé, ne mangent pas de dessert.
C’est avec le thé qu’ils dégustent leurs petits gâteaux, généralement pour adoucir l’amertume du matcha.
Ces pâtisseries, souvent servies pendant la cérémonie du thé, sont présentées sous différentes formes selon les saisons.

Chez Toraya, fournisseur officiel de la cour impériale depuis près de cinq siècles, dont une succursale est ouverte à Paris depuis 1980, on peut voir en ce moment les fameux sakura mochi, une sucrerie dégustée au printemps pendant la période de floraison des cerisiers (dite « sakura ») enroulée dans une feuille de l’arbre (photo ci-dessus).
Quant aux mochi, ces petites boules de pâte de riz fourrées d’azuki rouges ou blancs, ils ont depuis peu une boutique qui leur est consacrée à Paris, la Maison du Mochi, déjà prise d’assaut.
Romain Gaia, à la tête de la pâtisserie Tomo, ouverte depuis deux ans dans le quartier de la rue Sainte-Anne, a, lui, choisi les dorayaki comme porte d’entrée vers les wagashi :«Ce sont des gâteaux plus faciles à comprendre pour les Français, cela permet de découvrir la pâte de haricot rouge entre deux sortes de pancakes à base de farine de blé, qui est plus proche de ce qu’on connaît ici. »

Au restaurant, on n’y échappe pas non plus. Kaori Endo prépare au Petit Keller un merveilleux dessert qui a déjà ses aficionados: une pâte de haricot rouge maison, surmontée d’une crème fouettée, d’un quartier d’orange sanguine et de crumble de matcha.
Et puis, juste avant l’été, on attend l’ouverture d’un nouveau temple de l’art de vivre japonais, niché dans un hôtel particulier du XVIIe siècle dans le Marais, où Shinichiro Ogata, figure du design japonais et chef réputé, offrira dans un très chic salon de thé un large choix de wagashi.

Si les gâteaux traditionnels nippons arrivent doucement en France, nos pâtissiers – à l’image de Christophe Michalak qui vient d’ouvrir une boutique sur Omotesando, les Champs-Elysées japonais – font un tabac depuis une vingtaine d’années au Japon, où l’on s’arrache leurs choux à la crème et autres monts-blancs. Pierre Marcolini, le plus français des chocolatiers belges, premier Occidental à avoir ouvert une boutique à Tokyo, au coeur de Ginza, en décembre 2001, explique cet engouement:«Les Japonais aiment le luxe à la française, et la pâtisserie hexagonale représente vraiment cela pour eux. »

Seules quelques différences culturelles peuvent expliquer certaines déconvenues essuyées par le chocolatier à cette époque.
S’il a dû redimensionner ses bonbons (plus petits d’un tiers), il est aussi tombé des nues quand on lui a expliqué qu’une petite bulle d’air sur un chocolat ne convenait pas pour la clientèle japonaise, très à cheval sur la perfection formelle. Un défaut, considéré chez nous comme la trace d’un travail artisanal ne sera pas toléré par les très exigeants consommateurs nippons.
Jusque dans l’emballage s’exprime une certaine délicatesse. Les douceurs sont toujours présentées dans un écrin, des petites boîtes dans des grandes, façon poupées russes, puis enfin placées dans des petits sachets, le tout enveloppé dans un tenugui, un tissu traditionnel japonais.

Si nos deux pays se sont mutuellement passionnés l’un pour l’autre, c’est sans doute parce qu’ils se complètent. « Notre côté technique leur plaît, mais ils sont surtout séduits par notre potentiel créatif.
Les Japonais ont tellement de règles précises qui les empêchent de sortir du cadre!
Et nous, en retour, nous sommes scotchés par la qualité de leur interprétation », analyse Romain Gaia.
« Perfectionnisme, excellence et recherche d’une certaine esthétique », ces qualités expliquent les liens tissés à travers la pâtisserie, estime Mathilda Motte, la créatrice de la Maison du Mochi.

Yukiko Sakka, pâtissière de Nanan, maison fétiche des Japonaises résidant dans la capitale française, renchérit: «C’est la finesse qui intéresse les deux pays, la technique et beaucoup de travail. »
Fruits de cette complémentarité, des gâteaux transgenres ont récemment fait leur apparition, exécutés par des pâtissiers japonais comme français.

Olivier Haustraete, de la Boulangerie Bo, a toujours beaucoup de succès avec le Mont Azuki, une préparation de vermicelles de haricot rouge et fleur de cerisier, recouvrant chantilly et coulis de framboise-hibiscus, ou encore le Takao-san, son baba au pavot et au citron d’Okinawa.

Sadaharu Aoki, qui possède cinq adresses en France, concocte de belles madeleines au matcha, des macarons au wasabi et autres éclairs au sésame noir.
Même le dorayaki de Tomo se dévergonde: « Personne n’avait jamais rien fait de nouveau avec le dorayaki, on s’est permis au début une petite ganache au matcha au milieu de la pâte d’azuki, et puis maintenant on ose carrément le ricotta-yuzu. Et ça marche ! » s’amuse Romain Gaia.

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